L’angoisse, la peur, la précarité: chaque jour, à Montréal, plusieurs dizaines de milliers d’immigrés organisent leur vie autour d’une donnée majeure: leur situation illégale. Ils sont demandeurs d’asile déboutés, parents d’enfants canadiens, touristes venus ici non pour voyager mais pour travailler, ou encore entrés ici illégalement. Les chemins qui les ont menés à la clandestinité sont nombreux. Ils n’ont pourtant qu’une seule destination: la vie sans statut, le cul-de-sac juridique. Pendant des mois, voire des années, ils survivent dans l’anonymat le plus complet. De petits boulots payés au noir, dans des conditions qui dérogent aux normes québécoises, leur permettent de subsister. Ils n’ont pas accès à l’aide sociale ni à l’assurance maladie. Ils rasent les murs, hésitent à sortir de l’anonymat, de peur d’être dénoncés aux autorités canadiennes, arrêtés, renvoyés vers leurs pays. Ils sont prisonniers d’une vie quotidienne, privés des libertés les plus simples. On estime à plus de 250 000 personnes le nombre de clandestins au Canada, dont près de 40 000 à Montréal, qui vivent et travaillent à nos côtés. La Presse a rencontré certains d’entre eux, qui ont accepté, non sans réticence, de nous raconter leur existence sans statut au Canada et leur rêve d’une vie normale. [Article original de La Presse: http://www.lapresse.ca/
Voici leurs histoires:
i) «Tout ce que je veux, c’est vivre ici.»
C’est un après-midi glacial, au coeur de l’hiver montréalais.
Autour de la table de cuisine, Edma, 49 ans, est assise en face de sa fille Rachel, 24 ans. À côté d’elles, Daniel, 30 ans, copain de Rachel. Il tient dans ses bras leur deuxième enfant, une petite fille de quelques mois.
Le bébé et son aînée de 3 ans sont les seuls membres de la famille à être officiellement canadiens.
Rachel est arrivée au Canada il y a sept ans avec sa mère, son père et son frère. La famille, propriétaire de terrains au Mexique, a quitté le pays en catastrophe, chassée par la pègre locale.
ii) «J’ai mes rêves, mais quand je me réveille, je me dis: merde, il n’y a pas d’avenir pour moi.»
À 30 ans, Emilio* a travaillé en Espagne avant de poser ses valises au Canada. Contrairement aux États-Unis, le Canada, lui avait dit un ami qui s’y était installé, laisse entrer facilement les Mexicains. Là, le travail au noir abonde.
iii) «On est forcés de travailler plus que n’importe quel immigrant.»
«Je ne peux plus continuer comme ça.»
Cela fait cinq ans qu’Alejandro* n’a ni vu ni serré dans ses bras sa femme et ses trois filles.
Elles vivent au Mexique, lui à Montréal.
Alejandro est ici illégalement.
Toute la famille était venue à Montréal au début des années 2000, pour demander l’asile. Le statut de réfugié leur a été refusé, et ils se sont résignés à retourner au Mexique.
Mais la situation là-bas est invivable.
iv) «Pour eux, c’est juste un dossier. Pour nous, c’est notre vie.»
Dans la petite salle d’audience de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), le gris domine.
Nous sommes mercredi.
Devant le drapeau canadien, Mélanie Martel, petite femme ronde, est assise, entourée des trois enfants de son mari, de sa soeur, de sa mère, de quelques amies et d’un représentant du groupe Solidarité sans frontières.
Tout ce comité attend anxieusement l’arrivée du commissaire chargé de déterminer, ce jour-là, si Jean-Bernard Devilmé, mari de Mélanie, pourra être libéré du Centre de prévention de l’immigration de Laval, où il a été conduit lundi.
v) «Quand on tombe là-dedans, on ne sait pas ce qui nous attend.»
Malinka* a 36 ans, le verbe haut et le regard franc.
Elle a passé plusieurs années dans la clandestinité.
Elle vient d’Afrique de l’Ouest et espérait trouver refuge au Canada, il y a sept ans. Mais quand elle a été refusée, Malinka n’a pu se résoudre à partir.
«J’ai eu un ordre de sortir, mais j’ai eu un enfant ici. J’aurais pu partir, mais j’ai pris le risque pour mon enfant. Je voulais lui donner une vie meilleure.»
vi) «Une grande portion de notre économie est basée sur les personnes sans papiers»
Le groupe montréalais Solidarité sans frontières vient en aide aux immigrés, et notamment aux sans-papiers. Bien connu des intervenants du milieu, il revendique la régularisation de tous les sans-papiers.
«Il n’y a pas de gens qui ont plus de droits que les autres», croit Rosalind Wong, militante de Solidarité sans frontières.