LA VIOLENCE FAITE AUX FEMMES ET LE STATUT D’IMMIGRATION PRÉCAIRE

Par Le CENTRE COMMUNAUTAIRE DES FEMMES SUD-ASIATIQUES (CCFSA)

(Au début du mois de mars, les travailleuses du CCFSA ont discuté des sujets à aborder dans  ce journal. L’article ci-dessous est le résultat de cette discussion.)

Le genre, la race et la classe font partie intégrante de nos expériences de migration et d’établissement. Le CCFSA est un organisme de service, de soutien et de défense de droits. Bien que nos services s’adressent principalement aux femmes sud-asiatiques, nous appuyons toute personne qui fait appel à nous. Nous avons des locaux, des programmes de liaison communautaire et de nombreux liens avec d’autres organismes communautaires, des regroupements de groupes de femmes et des coalitions qui travaillent de différentes façons auprès des personnes immigrantes et réfugiées. Notre travail renforce notre pouvoir d’agir et nous cherchons à minimiser les distinctions et la hiérarchie qui existe entre les « clientes » et les « prestataires de services ». Dès nos tous débuts, en 1981, nous avons investi différents milieux. Nous ne compartimentons pas les services, le soutien et la défense de droits. Pour nous, ils sont indissociables. Notre approche repose sur notre travail et sur nos expériences en tant que personnes immigrantes et réfugiées.

Nous avons toujours été préoccupées par la violence faite aux femmes et nous savons que le statut de réfugiée ou d’épouse parrainée a d’énormes effets sur les femmes, surtout celles qui vivent dans la précarité. Afin de conserver sa résidence permanente, une épouse parrainée (bien des femmes d’origine sud-asiatique arrivent à Montréal par parrainage) doit vivre au Canada avec son parrain durant deux ans. Le parrainage rend ainsi les femmes complètement dépendantes de leur mari et les place dans une relation de pouvoir inégale. Si une femme parrainée décide de se protéger en quittant le foyer ou si le mariage est dissout, elle court le risque de ne pas avoir le droit de rester au Canada. La peur d’être renvoyée dans son pays d’origine, une éventualité qu’elle peut chercher à éviter pour toutes sortes de raisons, influence ses décisions.

Dans la plupart des cas de violence conjugale, peu importe le statut d’immigration, les femmes ne choisissent pas de quitter leur partenaire dès le début. Habituellement, ce n’est qu’après avoir compris que le comportement du partenaire ne changera pas, ou que les enfants sont en danger, qu’une femme décide de partir. Ses options sont grandement réduites lorsqu’elle n’est pas « libre » de choisir parce que son statut repose sur son mariage et sur la cohabitation avec son mari. D’autres complications surviennent parfois. Dans certains cas, les femmes ne sont pas en mesure de communiquer en français ou en anglais avec les agent.e.s de police qui se présentent à domicile suite à des signalements de violence conjugale. Nous avons été témoins d’un cas où le mari a déformé la réalité en disant qu’il s’agissait d’un malentendu : il a ensuite pris tous les documents de sa femme, ce qui a compliqué sa lutte pour rester au pays tout en vivant ailleurs qu’avec son parrain. Bien que le CCFSA offre du soutien pratique et moral, nous ne pouvons échapper à la réalité de la vulnérabilité des femmes qui arrivent au Canada en tant qu’épouses parrainées.

Nous constatons parfois, lorsque les mariages prennent fin, que certaines femmes se sentent plus autonomes ici que dans leur pays d’origine. Les femmes qui retournent chez leurs parents, dans leur pays d’origine, sont parfois jugées comme étant un « échec » par la famille et les voisins. Ici, elles peuvent réinventer leur vie et vivre sans ce stigma. Pour la sécurité et le bien-être des femmes, nous aimerions que les restrictions en matière de parrainage soient abolies.

À l’heure actuelle, la loi accorde un grand pouvoir discrétionnaire aux agent.e.s d’immigration. Par exemple, dans un autre type de situation de parrainage, si une femme arrive au pays en tant que réfugiée, que sa demande est rejetée mais qu’elle tombe amoureuse et se marie entre temps avec une personne qui détient la citoyenneté ou la résidence permanente canadienne, cette personne peut parrainer la femme pour qu’elle obtienne la résidence permanente. Toutefois, si, après le mariage, la femme est victime de violence conjugale et souhaite quitter son mari, ce dernier peut retirer le parrainage. La femme, dans ce cas, est obligée de retourner dans le pays qu’elle a fui. Si des enfants naissent du mariage et que la Protection de la jeunesse est impliquée pour cause de violence, la mère peut faire appel et demander la permission de rester pour des raisons d’ordre humanitaire. Une année doit passer avant qu’un nouveau dossier soit ouvert. S’il n’y a pas d’enfants nés en sol canadien, la femme peut tout de même faire une demande pour des raisons d’ordre humanitaire, mais doit attendre un an avant de le faire. Dans de tels cas, les agent.e.s d’immigration ont un grand pouvoir sur le déroulement des choses. Si une femme est déportée avant la fin de l’année, son dossier risque d’en souffrir.

Au-delà des situations de crise, nous soutenons les personnes immigrantes et réfugiées dans leurs démarches d’établissement et d’emploi. La recherche d’emploi non fructueuse a de lourdes conséquences sur les personnes, comme la perte de dignité et la dépression. Ces conséquences sont parfois plus lourdes encore chez les personnes nouvellement arrivées, qui, souvent, n’ont pas de réseau de soutien local. Les personnes immigrantes font souvent face à des obstacles quand vient le moment de trouver de l’emploi dans leur domaine de travail. Le manque « d’expérience au Canada », entre autres, est un handicap important. Les personnes immigrantes sentent qu’elles doivent accepter tout travail qu’on leur offre. De nombreux.euses employeur.euse.s sans scrupules tirent profit de la vulnérabilité économique des personnes nouvellement arrivées.

Même les travailleur.euse.s qualifié.e.s et qui parlent le français se heurtent à des obstacles. Bien des personnes nouvellement arrivées ont du mal à trouver un emploi si elles ne parlent pas l’anglais. En arrivant, les personnes immigrantes ou réfugiées peinent à joindre les deux bouts et n’ont souvent pas assez d’argent pour payer des cours de langue. Depuis plusieurs années, des professeur.e.s bénévoles dévoué.e.s donnent des cours d’anglais au CCFSA. De nombreuses personnes bénéficient de ces cours : comme tous les services offerts au CCFSA, ils sont non seulement gratuits, mais ouverts aux personnes de toutes origines. Depuis que le Ministère de l’immigration et des Communautés culturelles du Québec a effectué des changements à ses programmes, les organismes comme le CCFSA ne sont plus financés pour travailler en employabilité et pour soutenir les personnes dans leurs demandes de statut de réfugié. Bien que ces changements ne nous empêchent pas d’aider les personnes qui font appel à nos services, ils indiquent clairement que les gouvernements ne sont pas en phase avec les réalités des personnes nouvellement arrivées, et que les organismes comme le nôtre, qui offrent un soutien complet, de l’information à la référence, sont grandement sollicités.

Observons le cas d’une femme sud-asiatique venue travailler avec une famille au Canada. La famille l’a fait venir par le programme d’aide familiale résidente. Elle a été isolée dans la maison de son employeur, où elle devait prendre soin d’un parent âgé. Cette femme n’avait aucun contact humain hors de la maison de son employeur et se sentait exploitée. Elle a fini par se trouver dans une situation de désespoir. Elle a finalement réussi à s’échapper, mais a du lutter pour rester au Canada. Nous l’avons aidée à trouver une famille avec qui vivre lorsqu’elle s’est échappée.

Nous travaillons parfois avec des femmes qui attendent la déportation en centre de détention. Nous essayons de les soutenir du mieux que nous le pouvons, mais c’est difficile. Les cas des femmes sont souvent compromis dès le départ en raison de faux renseignements ou de mauvais conseils prodigués par des avocat.e.s et des conseiller.e.s en immigration. Si elles avaient communiqué avec nous plus tôt, elles s’en seraient peut-être mieux tirées. Les personnes qui fuient un conflit politique, un génocide et la persécution basée sur le genre partent souvent sans emporter leurs documents. Le processus de négociation pour l’obtention du statut de réfugié.e est très tendu. Nous soutenons les personnes qui le demandent du mieux que nous le pouvons. Notre souci pour le bien-être de nos communautés nous a mené à prendre la parole contre les pratiques et les politiques d’immigration injustes et discriminatoires.

Les femmes avec de jeunes enfants qui doivent apprendre le français peuvent, comme toutes les autres personnes nouvellement arrivées, participer à des cours offerts par le gouvernement du Québec, mais c’est de plus en difficile. Dans le passé, un service de garde à temps plein était offert sur place. Ce n’est plus le cas. Les parents doivent trouver leur propre garderie. Bien que le gouvernement donne aux parents une allocation à cet effet, il n’y a pas suffisamment de places disponibles en garderie. De plus, bien que les programmes de francisation gouvernementaux (à temps plein et à temps partiel) soient ouverts aux personnes détentrices d’un Certificat de sélection du Québec (CSQ), du statut de réfugié.e, de la résidence permanente ou de la citoyenneté canadienne, les autres, y compris les personnes en attente d’une décision quant à leur statut de réfugié (et qui ne détiennent pas de CSQ), peuvent seulement participer au programme à temps partiel. Ces obstacles s’accumulent et rendent l’auto-suffisance de plus en plus difficile à atteindre. De plus, de nombreuses femmes attendent que leurs enfants commencent l’école avant de s’aventurer à apprendre le français et à chercher du travail. Ces dernières sont grandement touchées par l’imposition d’une limite de cinq ans. Dans ce cas, elles n’ont seulement droit qu’aux cours à temps partiel, à moins qu’elles ne bénéficient de l’aide sociale, dans lequel cas elles ont droit aux cours à temps plein offerts par le Ministère même si elles sont au Québec depuis plus de cinq ans.

Les changements récents aux lois d’immigration rendent la réunification familiale plus difficile qu’auparavant. Une personne réfugiée qui est acceptée comme résidente permanente a encore le droit de parrainer sa famille, mais elle doit maintenant attendre cinq ans. Au cours de cette période, elle n’a pas le droit de voyager dans son pays d’origine pour rendre visite à sa famille. Le parrainage de parents et de frères et sœurs n’est plus permis. Le gouvernement affirme qu’avec la création des « super visas », il est relativement facile pour les parents de rendre visite à leurs enfants. Mais ces visas sont difficiles à obtenir. Pour les personnes réfugiées, ce changement signifie qu’il n’est plus possible de porter une décision en appel pour des motifs d’ordre humanitaire avant qu’une année entière ne soit écoulée. Récemment, un demandeur du statut de réfugié a voulu faire venir sa mère et sa sœur au Canada. Elles ont du se soumettre à des tests de moelle osseuse et d’ADN très coûteux dans leur pays d’origine. Même si les tests ont prouvé qu’il s’agissait bel et bien d’une famille, seule la mère a été acceptée. La sœur a été refusée, et la décision ne peut être portée en appel.

Les personnes sans statut n’ont droit à aucun service, même les soins de santé. La seule exception concerne les personnes souffrant de maladie grave et transmissible au reste de la population. Les coupures aux versements d’aide sociale ont des effets négatifs sur nos communautés. Les commissions scolaires ne permettent pas aux enfants de parents sans statut de s’inscrire à l’école, ce qui institutionnalise les inégalités.

Les changements apportés aux démarches d’obtention de la citoyenneté forcent maintenant les personnes qui la demandent de démontrer leurs compétences en français ou en anglais. Elles doivent se soumettre à des tests de langue dans des centres approuvés par le gouvernement, moyennant des frais de 250$. Après les tests de langue, les personnes doivent encore passer le test de citoyenneté. De plus, le nouveau livret de préparation à l’examen de citoyenneté est maintenant très difficile. Nous aidons les gens à se préparer à l’examen.

Nous offrons de nombreux services aux personnes nouvellement arrivées à Montréal, au Québec et au Canada. Nous aidons les familles et les personnes à obtenir les prestations fiscales pour enfants, les pensions de vieillesse et les allocations familiales. Nous référons également les gens à l’aide juridique et à des avocat.e.s au besoin.

Comme nous travaillons avec d’autres organismes prestataires de services au Québec, nous sensibilisons, dans la mesure du possible, le personnel de ces organismes aux réalités de genre, de race, de classe et d’immigration de nos membres. Nous collaborons également avec plusieurs des ces organismes à des campagnes au sujet d’enjeux tel que les coupures en santé, la hausse de frais de transport et la violence faite aux femmes. Notre contribution se situe sur le plan de la sensibilisation des organismes et permet d’augmenter la solidarité avec les personnes migrantes, réfugiées et sans statut. Nous travaillons aussi avec d’autres organismes de justice migrante qui protestent et contestent les injustices des lois concernant les personnes réfugiées, le profilage politique des communautés minoritaires qui sont menacées de déportation et le climat de peur et d’insécurité qui encourage les personnes immigrantes, réfugiées et sans statut à dénoncer des membres de la communauté. Nous renseignons les membres de nos communautés au sujet de leurs droits et du pouvoir du travail solidaire et de la lutte contre l’isolement. Les lois qui créent un climat de peur et d’insécurité doivent être abolies. Ce que nous souhaitons, c’est une politique d’immigration libéralisée, qui permet aux familles d’être réunifiées. Nous souhaitons également l’abolition de la dépendance au parrainage qui met la vie des femmes en danger. Au Québec, encore plus qu’ailleurs, tou.te.s devraient avoir droit à des soins de santé et tous les enfants devraient pouvoir aller à l’école. Notre expérience nous démontre qu’en travaillant ensemble au sein de nos communautés et en solidarité avec les communautés et organisations qui partagent nos objectifs, nous sommes assez fortes pour opérer des changements positifs.