….. Quelques jours plus tard, suivant les conseils de mon avocat, je me suis présenté avec lui aux bureaux d’Immigration Canada afin de leur expliquer pourquoi je n’étais pas sorti du pays à la date prévue. Je leur ai aussi montré le nouveau billet d’avion que j’avais acheté pour leur prouver ma volonté de quitter le Canada. Malgré cela, l’agent qui s’occupait de mon cas m’a alors dit qu’il y avait un ordre d’arrestation émis à mon endroit et que je serais détenu. À partir de ce moment-là, ma vie s’est transformée en un monde de peur et de dépression. Je n’avais jamais, dans toute ma vie, eu quelconque problème que ce soit avec la loi. Je n’avais jamais été détenu pour quoi que ce soit. Cet épisode a été la pire expérience que j’ai vécue à Montréal.
L’agent m’a conduit dans une autre salle où m’attendaient 3 gardes de sécurité. Ils m’ont confisqué tout ce que j’avais sur moi, et ils ont inspecté tout mon corps afin de s’assurer que je n’avais aucun objet à part mes vêtements. Ça a été très traumatisant pour moi de sentir les mains de ces agents sur mon corps, qui me traitaient comme si j’étais le pire des criminels, un criminel parmi les plus dangereux du monde. Cette sensation est indescriptible. Je leur ai alors demandé si, en plus de tout cela, ils allaient me mettre des menottes et un des agents a répondu que « oui ». Je les ai suppliés de ne pas me les mettre. Je leur ai dit que je n’étais pas dangereux, que je m’étais présenté aux bureaux d’immigration pour leur démontrer que je ne voulais pas violer la loi. Un des agents m’a répondu qu’il devait me menotter, que ça faisait partie du protocole de sécurité. Il m’a demandé de lui tendre mes mains pour pouvoir me menotter. C’est une expérience que je ne souhaite à personne. La sensation du métal froid qui attachait mes mains…. Mes jambes tremblaient et mes yeux se remplissaient de larmes, mais je les fermais pour ne pas les laisser s’échapper. Ils m’ont transféré dans une autre salle, remplie de désolation et de tristesse, où 4 autres hommes migrants attendaient en silence.
Quelques heures plus tard, ils nous ont transférés au centre de détention de Laval. Dans la camionnette, j’ai été envahi encore une fois d’une grande tristesse en voyant, depuis l’intérieur de cette camionnette pleine de protection et de grillages, la vie à l’extérieur. Je me suis senti comme l’animal le plus dangereux du monde et rempli d’un océan de questions sans réponses. J’observais les gens à l’extérieur, dans la rue, qui regardaient passer la camionnette. Je voyais leurs visages qui se demandaient ce que cette camionnette pouvait bien contenir et je me demandais pourquoi je devais passer par tout ça si le seul délit que j’avais commis c’était d’avoir demandé la protection à ce pays. Je me remémorais tous les efforts et tous les sacrifices que j’avais dû faire en arrivant à Montréal, sans parler un mot de français, sans connaître personne, devant m’adapter à un monde totalement différent. J’avais essayé de travailler afin d’être une personne productive, de payer mes impôts et de démontrer au gouvernement canadien que j’étais une personne motivée à se dépasser. Je m’étais forcé pour apprendre la langue et je m’étais fait plusieurs amis que j’appréciais beaucoup et qui faisaient que je me sentais bien à Montréal. Ces 4 années vécues à Montréal ont été les plus belles de ma vie. J’ai pu y vivre en tant qu’homme gay, heureux et sans avoir peur des agressions, de la violence, sans avoir à cacher mon homosexualité. Mais, plus tard, j’ai vécu une frustration énorme en me rendant compte que tous mes efforts et mes sacrifices ne valaient rien aux yeux des services d’Immigration du Canada.
Quand je suis arrivé au centre de détention de Laval, j’ai dû faire face à un autre monde qui m’a complètement choqué. En voyant tous ces regards des personnes qui se trouvaient en détention, remplis de désolation, de tristesse et de désespoir, j’ai été vraiment profondément affecté émotionnellement. C’était des personnes qui, tout comme moi, avaient quitté leur pays pour chercher une vie meilleure et nous nous retrouvions tous là, ensemble, à respirer un air de tristesse, de solitude et de désespoir. Je me sentais dévasté par tout ce que j’étais en train de vivre. Je n’avais personne avec qui partager ma douleur. La première nuit, je n’ai pas dormi parce que j’étais submergé dans un océan de tristesse et de frustration. Je dormais entouré d’hommes qui venaient de plusieurs pays que je ne connaissais pas. Le lendemain matin, après le déjeuner, je suis retourné à ma chambre; je n’étais pas d’humeur pour socialiser. Je me suis mis à regarder le soleil par la fenêtre et en regardant vers l’édifice d’en face, j’ai aperçu des enfants qui jouaient dans une petite cour entourée de barbelés et de murs de sécurité avec des agents qui les surveillaient. À ce moment là, je n’ai pas pu retenir mes larmes en imaginant que ces enfants se trouvaient dans les mêmes conditions que moi… Je me suis écroulé et j’ai été envahi d’un sentiment indescriptible!… Tout à coup, j’ai senti une main qui me touchait l’épaule. En me retournant, j’ai vu que c’était un homme qui dormait dans mon dortoir. Il venait d’Indonésie. Il m’a dit que c’était le prix que nous devions payer, nous, les personnes sans papiers. Je lui ai demandé si ces enfants étaient aussi en détention et il m’a répondu que « oui », qu’ils faisaient partie d’une famille entière placée en détention. Je ne pouvais pas arrêter de me demander : « comment, mon Dieu, peut-on permettre que des enfants aient à vivre des expériences si souffrantes? ». Et je me demandais pourquoi personne ne faisait rien pour éviter que des enfants vivent une telle expérience.
En ce moment, je me trouve dans mon pays vivant dans l’anonymat, caché afin d’éviter d’être agressé ou assassiné. Je vis dans la peur et l’incertitude, jour après jour. Je regrette d’avoir quitté le Canada. Je pense parfois que ça aurait été peut-être mieux d’y vivre sans statut. Cependant, comme je ne peux pas retourner dans le passé, j’essaie de survivre au jour le jour. Je remercie toutes les personnes et groupes qui m’ont appuyé pendant ce difficile processus qu’a été l’expérience d’être demandeur d’asile au Canada.
Votre ami,
Manuel