Au Canada et au Québec, le maintien de la compétitivité internationale en période d’austérité grandissante, autant dans le secteur public que privé, et les politiques néolibérales qui touchent le fond ont créé un climat d’insécurité. De continuellement traiter les travailleurs et travailleuses migrant.e.s, les immigrant.e.s et les sans statut comme des boucs émissaires, ici, au Canada, cache le simple fait que le ne néolibéralisme peut exister seulement au dépend des travailleurs et travailleuses migrant.e.s/immigrant.e.s.
Pourtant, en ce moment, la concentration de la richesse dans notre société est sans précédent. Les dix personnes les plus riches du Québec ont une fortune équivalente aux salaires de un million de Québécoi.se.s travaillant au salaire minimum. Le Canada a aussi une des plus grandes concentrations de milliardaires sur la planète, soit 64. Ce niveau de concentration de la richesse — amené par le néolibéralisme des trois dernières décennies — a mené à une pauvreté sans précédent. À Toronto en 2012, il y avait 1,12 million de visites aux banques alimentaires, le deuxième plus haut niveau jamais enregistré. Au moins, à Toronto, cela est largement dû au fait que même avoir un emploi de 40 heures par semaines au salaire minimum ne permet pas d’échapper à la pauvreté. Selon un rapport révolutionnaire de Statistique Canada basé sur des données sur le travail et le revenu, le nombre de travailleurs et travailleuses pauvres à Toronto « servant du café, nettoyant des toilettes ou effectuant un autre travail éreintant dans les tours à bureaux et les usines a augmenté considérablement. Dans la région, entre 2000 et 2005, le nombre de travailleurs et travailleuses pauvres a augmenté de 42 pourcent, pour atteindre 113 000 personnes.»
L’utilisation du travail flexible, les attaques contre les syndicats et les salaires ont certainement été vitales à la grande augmentation des profits et de la richesse de quelques personnes. Cela a été réalisé grâce à la création du travailleur ou de la travailleuse « neoliberal.e », fonctionnant grâce à la précarité, par le travail migrant et immigrant, de trois principales façons :
La première et la plus cruciale : au Canada, aujourd’hui, il y a environ 250 000 à 400 000 travailleurs et travailleuses sans papiers, travaillant principalement en dessous de la table, pour moins que le salaire minimum, dans la construction, l’hôtellerie, pour des emplois au jour le jour ou avec des agences de placement temporaire. La deuxième, qui est maintenant devenue une nouvelle mesure pour rendre le travail temporaire permanent, est les 300 000 travailleurs étrangers et travailleuses étrangères temporaires présentement au Canada, un nombre qui a explosé depuis 2008. La troisième est la racialisation structurelle des travailleurs et travailleuses avec un salaire bas, même parmi ceux et celles qui sont des immigrant.e.s reçu.e.s ou des resident.e.s permanent.e.s. Ils et elles ne sont pas une part insignifiante de la classe ouvrière, mais occupent plutôt une place centrale dans son fonctionnement et dans la création d’une nouvelle forme d’économie.
D’une certaine façon, les travailleurs et travailleuses migrant.e.s sont devenu.e.s une composante centrale de la stratégie néolibérale pour « intérioriser la sous-traitance ». Ce que nous ne voyons pas maintenant c’est qu’il y a une reprise de la « sous-traitance » du travail (qui était très importante lors des crises économiques des années soixante-dix). Revenir à ce modèle veut dire une augmentation drastique de l’ « internalisation » du travail précaire : en d’autres mots, au lieu de délocaliser des emplois dans le Sud, les compagnies internalisent les immigrant.e.s/migrant.e.s, ici, comme source de travail pas cher.
Une immigration juste-à-temps!
Un autre aspect de cette internalisation est la régression virtuelle des politiques d’immigration. Au lieu du statut pour tout le monde ou de la pleine régularisation, le Canada a rendu virtuellement impossible d’immigrer, à moins de passer par un Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Ainsi, l’immigration se fera maintenant sur des bases très temporaires et sera liée à des employeurs en particuliers.
Dans un rapport publié par la Metcalf Foundation en 2012, les liens entre les agences de placement privées et les PTETs supervisés par le fédéral ont été démontrés clairement : « alors que le gouvernement créé des conditions qui permettent que des relations de travail migrant se forment, la supervision de ces relations est de plus en plus privatisée entre l’employeur ou l’employeuse et le travailleur ou la travailleuse.
Le PTET amène les migrant.e.s au pays pour des emplois spécifiques, sur une base temporaire, ce qui signifie que la capacité d’un travailleur ou d’une travailleuse de continuer à vivre au Canada dépend de si il ou elle peut garder l’emploi pour lequel il ou elle a été amené.e ici. Contrairement à d’autres moyens pour venir au Canada (visa étudiant, demande de réfugié.e, etc.), la plupart des PTET de garantissent pas, ou n’offrent même pas, de voie pour obtenir la citoyenneté ou la résidence permanente.
C’est le nouveau phénomène faisant partie d’un plus vaste effort néolibéral pour restructurer le travail, avec plus de 300 000 travailleurs et travailleuses au Canada sous les auspices de programmes TET (Citoyenneté et immigration Canada, 2011). En fait, depuis les cinq dernières années seulement, 30% de tous les nouveaux emplois créés au Canada sont destinés aux travailleurs étrangers et travailleuses étrangères temporaires (Statistique Canada, 2012). Comme l’on peut s’y attendre quand un emploi est lié de manière indissociable à un statut d’immigration, les conditions créées par ces programmes ont mené à ce que l’on peut décrire comme une forme de servitude. En tant que travailleur étranger ou travailleuse étrangère temporaire, on vous donne un permis de travail qui vous lie à un seul employeur ou employeuse. Si vous êtes renvoyé.e.s, vous perdez votre statut d’immigration temporaire — un statut qui, dans la plupart des cas, a déjà coûté cher financièrement et psychologiquement au travailleur ou à la travailleuse. Le résultat est que les lieux de travail foisonnent d’abus, beaucoup de travailleurs et travailleuses font 60 heures par semaine ou plus pour beaucoup moins que le salaire minimum, sans jours fériés, vacances ou congés de maladie, et sans la possibilité de demander que cela change.
Pourquoi sous-traiter quand vous pouvez internaliser ?
Au Canada/Québec le nombre de travailleurs et travailleuses pauvres à cause du travail temporaire sous-payé a beaucoup augmenté dans les dernières décennies. Selon Statistique Canada, la hausse a été de 8,7 milliards de dollars en revenus pour l’industrie du travail temporaire au Canada en 2009 (pour un milliard en 1993). Le nombre de travailleurs et travailleuses d’agences de placement s’est élevé à 158 000 employéEs temporaires durant l’année passée, soit six pourcent de plus que l’année précédente. L’écart salarial entre un.e employé.e permanent.e et un.e employé.e à contrat est d’environ 13%, tandis qu’entre un.e employé.e permanent.e et un.e employé.e temporaire, l’écart est d’environ 34%, selon les graphiques de Statistique Canada. La disparité persiste même après que l’agence ait ajusté les chiffres selon les différences démographiques comme le niveau d’éducation, le statut d’immigration et le genre.
Les agences de travail temporaire sont stratégiques pour les employeurs et employeuses pour deux raisons cruciales. Premièrement, engager des travailleurs et travailleuses d’agences de placement temporaires permet aux compagnies d’échapper complètement aux normes du travail même les plus basiques. D’abord, la nature contractuelle du travail d’agence signifie que les travailleurs et travailleuses perdent l’accès à des vacances payées, aux heures supplémentaires et aux avantages pour l’ancienneté. Aussi, il n’est pas clair dans la loi québécoise qui de l’agence ou de la compagnie avec qui elle fait affaire est responsable de l’employéE, rendant impossible, par exemple, pour un travailleur ou une travailleuse de contester un renvoi injuste ou une cessation d’emploi sans un préavis raisonnable. En outre, l’industrie est si peu régulée que lorsqu’une agence est accusée en vertu de la Loi sur les normes du travail, elle peut fermer ses portes et rouvrir à la porte à côté sous un autre nom. Dans les faits, les normes du travail ne s’appliquent donc pas. Deuxièmement, l’utilisation de travailleurs et travailleuses d’agences de placement temporaire permet aux compagnies de miner les tentatives de convention collective et de syndicalisation. Cela parce que les compagnies peuvent renvoyer et engager des travailleurs et travailleuses d’agences tant qu’elles le veulent. Cela permet aux compagnies de changer les travailleurs et travailleuses et de gonfler le nombre d’employé.e.s si rapidement et fréquemment que cela rend impossible d’atteindre la « majorité » nécessaire pour se syndicaliser. Pour les travailleurs et travailleuses d’agence de placement temporaire — qui sont souvent aussi des sans papiers, vivant avec un statut précaire ou des demandeurs ou demandeuses du statut de réfugié.e.s — le cauchemar d’une crise est devenu une réalité quotidienne. Ces agences opèrent principalement dans le secteur agricole et le secteur de la transformation alimentaire. Même des grandes usines comme celles des jus Oasis, de Monsieur Basilic, pour n’en nommer que quelques-unes, utilisent des agences de travail à la journée, où les travailleurs et travailleuses vont attendre le matin en face d’une station de métro pour voir s’il y a du travail ce jour-là à l’extérieur de la ville. Ce genre de pratique est plus commun aux États-Unis, mais il est maintenant utilisé ici dans les grandes villes comme Montréal et Toronto. Les employeurs et employeuses paient comptant à la fin de la journée. La plupart des travailleurs et travailleuses sont payé.e.s sous le salaire minimum, sans accès à des droits pour leur santé ou leur sécurité ou un respect des normes minimales du travail.
En 2010, Enquête, une émission de journalisme d’enquête à Radio-Canada, a recensé les pires pratiques malhonnêtes des agences, en envoyant des journalistes infiltrés pour travailler dans différentes agences comme nouveaux arrivants. Par exemple, des journalistes ont porté des caméras cachées pour postuler à des agences de placement temporaire qui se spécialisent dans le placement d’immigrant.e.s qui ne parlent ni anglais, ni français. Les deux hommes ont été assignés à des usines de poulet à Montréal, où ils ont travaillé avec les employés réguliers. « Personne ne m’a jamais demandé une pièce d’identité. Même pas ma carte d’assurance maladie. S’il j’avais eu un accident de travail, que serait-il arrivé ? Qui aurait été responsable de mes soins ? » a dit Martin Movilla, un journaliste infiltré. On s’attendait à ce que Movilla et Mendez travaillent de longues heures, plus de neuf heures à la fois, parfois avec seulement 15 minutes de pause. Ils étaient payés entre 6,50$ et 8,00$ de l’heure. Le salaire minimum au Québec est de 9,50$.
L’austérité mondiale – Style Montréal !
Un exemple particulièrement saisissant des restructurations néolibérales qui ont eu lieu dans les trente dernières années à Montréal, est celui de la chaîne Dollarama. Étant donné qu’il semble impossible de faire du profit à vendre des items dont le prix au détail n’atteint jamais plus de trois dollars, il est impressionnant que son PDG, Larry Rossy, soit l’une des 100 plus riches personnes au Canada ; il est la huitième plus riche personne du Québec, avec une valeur de 1,05 milliards de dollars.
La hausse de la pauvreté à travers le pays est une des raisons pour lesquelles Dollarama va si bien : les gens n’ont pas le choix d’acheter à l’un de leurs 700 magasins au Canada. Une deuxième raison pour laquelle ces prix font tout de même réaliser des bénéfices, c’est que Dollarama garde ses employé.e.s dans une situation hautement sous-payée et dans une extrême précarité. Rossy appelle cela une « stratégie du salaire minimum », ce qui signifie clairement que s’il pouvait payer ses employé.e.s moins cher, il le ferait. Les centres de distribution de Dollarama ici, à Montréal, emploient entre 500 et 1000 personnes — presque toutes non-blanches — qui ont presque toutes été engagées grâce à des agences de placement temporaire. Même les employéEs qui travaillent là depuis plusieurs années sont toujours considéré.e.s comme « temporaires », sans avantages sociaux ou pension et avec des conditions de travail difficiles. Ironiquement, la précarité du travail et les salaires au seuil de la pauvreté sont exactement ce qui rend presque impossible pour les employé.e.s de Dollarama de se battre pour de meilleures conditions. Sans tenir compte des conditions de travail dans lesquelles les produits de Dollarama sont manufacturés dans le Sud, la compagnie est déjà un excellent exemple de comment la flexibilité du travail a permis aux plus riches Canadien.ne.s de faire d’énormes profits. Un travailleur d’origine haïtienne a reçu une prime de Noël de quarante-cinq dollars. Durant la même période de trois mois, Dollarama a réalisé cinquante-deux millions de dollars de profits, en 2011.
UN STATUT POUR TOUS ET TOUTES ! UN SALAIRE DÉCENT POUR TOUS ET TOUTES !
Ce climat d’austérité et la hausse des déportations et les changements à l’immigration vont de pair. Pour le capital, les politiques d’austérité ont non seulement été la répression par la matraque, mais pour les travailleurs et travailleuses, les politiques d’austérité sont aussi les politiques d’immigration. La peur est maintenue chez les immigrant.e.s par la crainte de la déportation, en laissant les immigrant.e.s sans statut et sans accès aux services, dans le but de garder leur discipline au travail, pour les empêcher de se battre pour des conditions de travail décentes et pour leurs droits fondamentaux. C’est pourquoi si nous voulons combattre l’austérité sous toutes ses formes, la lutte pour la régularisation de tout le monde est centrale pour élever les conditions de vie de tous et toutes et pour assurer à tout le monde un emploi décent avec un salaire qui permet de vivre, pas un salaire de pauvreté.