Le 5 juin dernier, la Ville de Montréal annonçait l’adoption de sa Politique d’accès aux services municipaux sans peur. Solidarité sans frontières doute sérieusement que cette énoncé aura un réel impact sur la vie des personnes sans statut ni que celles-ci vivront désormais sans peur à Montréal.
Certes, l’adoption de cette politique souligne un gain puisque la Ville est désormais forcée de reconnaître l’existence des personnes sans statut dans notre société. Par contre, ceci est le fruit d’une lutte courageuse menée par le Collectif des femmes sans statuts et d’autres groupes communautaires et non pas le résultat d’un quelconque engagement spontané de la Ville pour la sécurité des personnes sans statut. Par ailleurs, au-delà d’une simple reconnaissance institutionnelle, cette politique n’améliore pas de manière significative les conditions de vie des Montréalais·e·s sans papiers. Elle pourrait même ajouter de nouveaux risques pour ces derniers·ères.
Résumé :
- La police est la principale source de danger pour des personnes sans statut, plus particulièrement à cause de son pratique de profilage racial. Mais, le SPVM est exclu de la politique. Il est insultant d’inviter les personnes sans statut à fréquenter la bibliothèque ou la piscine du quartier sans les rassurer qu’elles ne se feront pas arrêtées en chemin par la police, envoyées dans la prison migrante de Laval, et expulsées. Dans ce contexte, une carte d’identification indiquant leur vrai nom peut mener à leur identification par le SPVM et ensuite à leur détention par l’ASFC.
- De plus, la carte d’identité introduit par la Ville semble être uniquement réservée aux personnes sans statut. Elle va donc les catalogues officiellement comme « sans papiers » ce qui est plutôt contradictoire avec la volonté d’en faire des Montréalais·es comme les autres. Nous nous inquiétons également que les renseignements personnels, collectés pour l’émission de cette carte d’identité, peuvent tomber entre les mains du SPVM, de l’AFSC ou de la GRC et peuvent mener à une plus grande surveillance et contrôle des Montréalais·es sans papiers.
- La création de la Cellule d’intervention et de protection géré par le CAVAC ne servira à rien dans le contexte actuel. D’une part, le système judiciaire s’est montré incapable de gérer des cas d’abus, de violences et de harcèlements dans plusieurs circonstances. Il est également corrompu par le discrimination et le racisme systémiques. D’autre, puisqu’il n’y a rien dans la politique qui empêche un agresseur ou exploiteur d’user des représailles en signalant sa victime directement à l’ASFC, il serait surprenant que plusieurs personnes aient recours à cette option.
- Avec une réelle volonté, Solidarité sans frontières croit qu’il est tout à fait possible pour l’administration Plante de faire de Montréal une ville sécuritaire pour les personnes sans statut. Entretemps, nous continuerons de bâtir une Cité sans frontières : en refusant de permettre à ce que le statut d’immigration détermine l’accès au logement, l’éducation, des services de santé, la bouffe, etc.; en brisant l’isolement et en bâtissant des réseaux de solidarité qui nous permettent de nous défendre contre l’exploitation et la violence des prisons et des frontières.
La police est la principale source de peur des personnes sans statut
Au premier abord, la Ville parle d’offrir des services aux personnes sans statut sans peur, mais exclut de sa politique la principale source de crainte pour l’ensemble des personnes sans statut, soit sa police. Nous apprenions d’ailleurs que le SPVM est le corps de police canadien qui a fait le plus de vérifications de statut auprès de l’ASFC. En effet, selon une statistique offerte par Médecins du monde, 71 % des personnes sans statut limitent leur déplacement par crainte d’être questionnée par un·e agent·e de police. Plusieurs membres de notre réseau doivent vivre avec cette peur 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
La politique présentée par la Ville de Montréal est loin du principe du « don’t ask, don’t tell ». Soulignons ici un élément important : rien dans la législation provinciale et fédérale oblige les municipalités à contacter l’ASFC pour fin d’identification ou de signalement lorsqu’une personne désire recevoir un service de la Ville.
Il est donc assez ironique, voire insultant si ce n’est pas dangereux, d’inviter les personnes sans statut à fréquenter la bibliothèque ou la piscine du quartier sans les rassurer qu’elles ne se feront pas arrêter en chemin et envoyer dans la prison migrante de Laval. D’autant plus, s’il faut le dire platement, que la majorité des individus qui composent cette tranche de la population sont des personnes racisées. Par conséquent, elles sont plus propice d’être profiler par la police et les agent·e·s de sécurité dont on voit de plus en plus la présence dans les lieux publics, notamment le métro. Dans ce contexte, la carte d’identification proposée par la Ville dans le cadre de cette politique met davantage en danger les personnes sans statut : celles-ci peuvent la présenter à la police mais, comme elle indique leur vrai nom, cela peut mener à leur identification et/ou signalement à l’ASFC à des fins de détention et de déportation.
Le fait d’avoir accès à une bibliothèque ou à une piscine ne changera absolument rien au fait que la majorité des personnes sans statut vivent dans la précarité et la peur.
Une carte d’identité uniquement pour les personnes sans statut peut menacer leur sécurité
Nous nous inquiétons du fait que la carte d’identité semble être à priori uniquement réservée aux personnes sans statut*. Cette carte les catalogue officiellement comme « sans papiers » ce qui est plutôt contradictoire avec la volonté d’en faire des Montréalais·e·s comme les autres. Aux yeux des services municipaux et de leurs agent·e·s, ces personnes seront perçues, voire traitées différemment. Cette mesure va donc accroître leur marginalisation au sein de la population.
Nous nous inquiétons également de la manière dont les renseignements personnels, notamment l’identité et le lieu de résidence, seront collectés afin de fournir une carte d’identité. Rien dans la politique ne permet d’assurer que ces renseignements ne seront pas ensuite délivrés à l’AFSC ou à un corps de police. En effet, à moins que ce ne soit formellement proscrit par la Ville, l’AFSC ou le SPVM pourrait très bien faire usage d’une procédure administrative ou législative afin d’accéder aux renseignements collectés dans le cadre de cette politique.
De plus, nous ne pouvons pas écarter la probabilité que l’information collectée par la Ville sur les personnes sans statut, notamment leur lieu de résidence, puisse augmenter la surveillance policière de certains quartiers. En effet, le SPVM et la Ville forment une même entité et, à moins d’interdir officiellement l’accès aux données sur les personnes sans statut à sa police, la Ville met en danger la sécurité des personnes sans statut. Cela est d’autant plus vrai que le service de police n’a pas l’obligation, comme les autres unités administratives affectées par la nouvelle politique, d’apporter des modifications aux exigences d’identification ou de former son personnel à la réalité et aux enjeux que confrontent les personnes sans statut. À l’ère des collectes de masse des données par les entreprises et les états, nous savons aussi que les données sont de plus en plus source d’une plus grande surveillance et contrôle des individus. Ce phénomène représente un risque pour la sécurité et la qualité de vie pour les personnes les plus marginalisées.
Comme mentionné plus haut, la plus grande peur des personnes sans statut n’est pas d’être privé d’accès la bibliothèque ou la piscine du quartier, mais d’être identifiées et délivrées à l’ASFC. C’est cette peur qui maintient plusieurs personnes sans papiers dans des situations d’abus et d’exploitation au travail et à la maison, les fait hésiter à joindre des actions collectives visant à réclamer leur juste place au sein de notre société, à envoyer leurs enfants à l’école, à chercher des soins dans le système de santé public, etc. À noter qu’une carte d’identité officielle portant le vrai nom d’une personne sans statut peut en fait augmenter le risque qu’elle soit identifiée par le SPVM et remise à l’ASFC pour détention et déportation. Nous regrettons donc que Médecins du monde, en tant que seule clinique gratuite pour migrant·e·s sans couverture médicale, ait donné son aval à cette politique qui va à terme vulnérabiliser davantage cette partie de la population montréalaise.
Une cellule d’intervention et de protection dans le contexte actuel aura peu ou pas d’impact sur la sécurité des personnes sans statut
Le communiqué de la Ville mentionne aussi l’initiative de confier au CAVAC la création d’une Cellule d’intervention et de protection. Nous dénonçons le fait que le poids de lutter contre la discrimination, les abus et les violences soit entièrement sur le dos des victimes. Nous savons très bien que celles-ci mettent en danger leur vie, la vie de leurs proches et/ou leur source de revenus lorsqu’elles tentent de dénoncer des actes violents. Au cours des dernières années, nous avons pu constater de l’inefficacité du système de justice lorsque vient le moment de condamner des harceleurs et des agresseurs. De même, la génuflexion de la Ville devant sa police dans la lutte contre le profilage racial et social signifie que les pratiques et les abus policiers basés sur les préjugés et les biais continueront de contribuer au racisme systémique au sein du système de justice et donc à mettre en danger la sécurité des personnes sans statut. De plus, puisqu’il n’y a rien dans la politique de la Ville qui empêche un agresseur de menacer la sécurité et la vie d’une personne sans papiers en la signalant à l’ASFC, il serait surprenant que plusieurs personnes aient eu recours à cette option. La création de la Cellule ne servira donc absolument à rien dans le contexte actuel.
Nous croyons qu’il est tout à fait possible pour Montréal d’être une ville sanctuaire
Finalement, l’administration Plante se défend que le principe de « ville sanctuaire » soit impossible à appliquer. C’est ici la même administration qui prétend pouvoir mettre sur point une nouvelle ligne de métro, développer des « autoroutes du vélo », etc. Toutes des mesures qui, il n’y a pas si longtemps, étaient considérées irréalistes, fruits de quelques « radicaux·les ». La réalité c’est que pour la Ville de Montréal les personnes sans statut ne sont toujours pas considérées comme des membres de la communauté montréalaise au même titre que les autres. Dès lors, l’administration Plante ne souhaite pas brûler ce qu’il lui reste de capital politique en froissant un service de police déjà sur les dents.
Nous croyons qu’il est tout à fait possible de rendre Montréal réellement sécuritaire pour les personnes sans statut. Il suffit de laisser de côté les mesurettes visant à flatter l’électorat progressiste libérale tout en évitant de s’aliéner le milieu affairiste de Montréal.
Pour notre part, par la pratique quotidienne de la solidarité et de l’entraide ainsi qu’avec l’action directe, nous continuerons de bâtir une Cité sans frontières. Bâtir une Cité sans frontières, c’est refuser de permettre à ce que le statut d’immigration détermine l’accès au logement, l’éducation, des services de santé, la bouffe, etc.. Nous travaillons pour briser l’isolement et bâtir des réseaux de solidarité qui nous permettent de nous défendre contre l’exploitation et la violence des prisons et des frontières. Bâtir une Cité sans frontières, c’est aussi rejeter un système qui engendre la pauvreté et la peur, pas seulement pour les migrant·e·s et les réfugié·e·s, mais aussi pour des milliers d’autres Montréalais·es qui font face à ces réalités. /fr/solidarity-city
* N. B. : Comme nous n’avons pas accès aux détails sur la manière dont cette politique sera mise en oeuvre, nous ne pouvons pas être sûr que la carte d’identification sera uniquement réservé aux personnes sans statut. Il s’agit donc d’une hypothèse.