Le 15 Décembre 2012, le gouvernement fédéral entreprit la mise en oeuvre du projet de loi C-31. Surnommé la Loi d’exclusion des Réfugié.e.s, cette législation établit un système de sélection des réfugié.e.s à deux poids, deux mesures qui discrimine les migrant.e.s en tenant compte de leur nationalité. Les demandeur.euse.s qui arrivent d’un pays inclus dans la liste et arbitrairement déclaré comme étant un « pays d’origine sécuritaire » verront leur demande rapidement traitée vers la déportation, leurs recours légaux tel que les demandes humanitaires restreints et leur accès la section d’appel des réfugié.e.s refusé. En outre, la loi C-31 établit des règlements spécifiques, invoqués à la discrétion du Ministère de l’Immigration, pour les migrant.e.s arrivant au Canada de manière « irrégulière », incluant la détention obligatoire avec encore moins de possibilités de révision et des opportunités sévèrement restreinte de résidence permanente par la suite. L’effet cumulatif de ces dispositions risque d’intensifier drastiquement le nombre de migrant.e.s qui seront victimes de détention au cours des prochaines années.
La menace d’incarcération et de déportation n’a rien de nouveau pour les migrant.e.s et les réfugié.e.s au Canada: les non-citoyen.ne.s font toujours face à la menace d’être potentiellement détenu.e.s indéfiniment par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Même si les changements apportés par le projet de loi C-31 sont graves et de mauvaise augure – tout en promettant de causer des ravages dans la vie des migrant.e.s et des réfugié.e.s qu’ils affecteront– il est important de se rappeler qu’ils ne représentent pas une rupture majeure avec les pratiques traditionnelles du régime de sécurité en immigration du Canada. Nous devons plutôt voir ces changements comme une escalade – bien que brusque – du genre de tactiques utilisées contre les migrant.e.s et les réfugié.e.s depuis des dizaines d’années, et comme faisant partie d’un mouvement en cours vers la concentration croissante du pouvoir arbitraire entre les mains de ministères du gouvernement et de leurs délégué.e.s. Ceci est essentiel pour comprendre la logique raciste à la base de l’idéologie d’Immigration Canada et de l’intérêt économique qui influence de telles décisions politiques.
Selon la Loi sur l’immigration et la protection des réfugié.e.s, l’ASFC peut arrêter et incarcérer un.e étranger.e ou un.e résident.e permanent.e qu’elle juge une menace pour la sécurité publique, un potentiel risque de fuite, une identité qu’elle ne peut valider ou une menace à la sécurité nationale. Malgré l’invocation régulière des migrant.e.s comme étant potentiellement dangereux.ses et/ou criminel.le.s, dans les faits la très grande majorité des détenu.e.s (94.2%) sont incarcéré.e.s pour des raisons entièrement sans rapport avec la question de la sécurité. Effectivement, des familles entières, incluant de jeunes enfants, sont présentement emprisonnées dans des centres de détention canadiens. Même si les détenu.e.s ont droit à une révision de leur détention dans les 48 heures suivant leur arrestation, 7 jours plus tard et 30 jours après cela, la loi permet la détention indéfinie dans ce genre de situation. Certain.e.s migrant.e.s croupissent pendant des mois ou même des années dans des centres de détention canadiens, parfois pour des motifs aussi arbitraires et superficiels que des documents de voyage invalides.
Avec la mise en œuvre du projet de loi C-31, les migrant.e.s qui arriveront par des moyens proclamés « irréguliers » – qui s’appliquent arbitrairement sur des migrant.e.s arrivant en groupe de deux et plus, ou que le ministère considère comme ne pouvant être évalué.e.s dans des délais raisonnables – feront face à la détention obligatoire. En vertu de ces dispositions, les détenu.e.s pourraient être incarcéré.e.s pour un minimum d’un an à moins que la libération ne soit ordonnée par un audition de révision – ce qui, dans ce cas, n’est requis qu’après 15 jours et chaque six mois par la suite. Même si les demandes des détenu.e.s sont acceptées ultérieurement, leur cheminement vers un statut de résidence permanente est considérablement restreint, considérant qu’il.elle.s ‘auront pas le droit de présenter une demande pour un statut de résidence permanente pour un minimum de 5 ans. De plus, de tel.le.s détenu.e.s empêcher de parrainer leur famille pour une période de cinq ans.
Le plus extrême de ces mécanismes pour la détention des non-citoyen.ne.s dans le dispositif de sécurité de l’immigration canadienne est le certificat de sécurité.Les certificats de sécurité sont utilisés pour détenir de prétendues menaces contre la sécurité nationale dans des conditions draconiennes, basé sur des preuves secrètes qui ne sont pas accessibles au.à la détenu.e ni à leurs sympathisant.e.s. Mahommad Mahjoub, Mahmoud Jaballah et Mohamed Harkat ont fait face à des certificats de sécurité pour plus d’une décennie. Plusieurs contestations juridiques des certificats de sécurité ont révélé ceux-ci comme étant profondément erronés, souvent basés sur des preuves infondées tel que des rumeurs ou des témoignages obtenus sous la torture. Cependant, même si la Cour suprême a déclaré les certificats de sécurité inconstitutionnels, elle a permis leur utilisation continue tant que le gouvernement modifie ses pratiques et inclut une protection minimale pour les accusé.e.s.
Présentement, il existe trois centres de détention des services de l’immigration au Canada. Le plus grand de ceux-ci, le centre de prévention de l’immigration de Laval, situé en plein champ et flanqué de plusieurs prisons fédérales, est capable d’accueillir plus de 150 détenu.e.s en par jour. Les centres de détention sont des lieux clôturés avec des barbelés avec une surveillance constante, où les migrant.e.s sont sujet.te.s à des conditions quasi-carcérales : règles rigides, horaires stricts, liberté de circulation restreinte et aucun accès aux services de santé mentale ou de soutien. Les détenu.e.s sont enchaîné.e.s et menotté.e.s durant leurs transferts vers des audiences ou des rendez-vous. Les services de traduction sont minimaux et l’accès au support légal crucial est limité ce qui compromet fréquemment l’acceptation des réclamations et demandes. Ceci est très loin de la description des centres de détention par le ministre de l’immigration Jason Kenney, qui les décrit comme étant des « hôtels trois étoiles avec une clôture autour ».
Durant la dernière décennie, nous avons été témoins d’une croissance constante du nombre de migrant.e.s qui ont été détenu.e.s. De 2004-2011, environ 82 000 migrant.s ont été séquestré.e.s par Immigration Canada ainsi que 13 000 durant l’année 2011, ce qui est déjà trop pour les centre de détention. Présentement, jusqu‘à 35% des détenu.e.s sont incarcéré.e.s dans des prisons provinciales au travers le pays – les exposant à la déshumanisation et la possibilité d’abus qui sont inhérents au système d’incarcération criminelle. En effet, un rapport global sur la détention publié en 2012 fait remarquer que des migrant.e.s sont présentement détenu.e.s dans 43 prisons provinciales à travers le pays – plusieurs d’entre elles sont des établissements de haute sécurité où les détenu.e.s ne peuvent quitter leur cellule pour plus de 18 heures par jour. Avec l’accroissement des détentions attendues avec la loi C-31, nous verrons certainement cette pratique se poursuivre à un rythme constant. Des événements récents montrent un autre phénomène troublant : la privatisation des centre de détention pour immigrant.e.s.
Au cours des derniers mois, plusieurs ont questionné l’étendu des détentions obligatoires étaient nourries par les intérêts de compagnies privées qui ont toutes les chances de tirer un profit énorme dans l’expansion du système de détention des immigrant.e.s. En effet, il s’agit déjà d’une industrie de plusieurs millions de dollars en accroissement rapide : il est estimé que 53 775 000 $ est dépensé annuellement pour les centre de détention au Canada. Ce chiffre ne tient pas compte des coûts associés à la surveillance et la supervision des migrant.e.s, notamment aux détenu.e.s issu.e.s des certificats de sécurité, qui augmenteraient encore plus le montant estimé.
Les compagnies privées bénéficient déjà largement de leur implication dans la gestion, le fonctionnement et la prestation de services dans le centre de détentions pour immigrant.e.s. Le centre de détention de l’immigration de Toronto est géré par la corporation de gestion Corbeil et reçoit des services de sécurité du G4S, la plus grande firme de sécurité au monde. G4S a récemment été la cible de critiques pour avoir bâclé un contrat de 284 millions de livres pour gérer la sécurité durant les Jeux olympiques de Londres en 2012 et pour sa complicité dans des cas d’abus envers des prisonnier.e.s palestinien.ne.s durant sa gestion du service pénitentiaire israélien. Selon des estimations, ces deux compagnies ont été rémunérées à plus de 19 millions de dollars avec des contrats du gouvernement fédéral entre 2004 et 2008. À Montréal, les services de sécurité du centre de prévention de l’immigration de Laval sont fournis par Garda Sécurité.
Cette tendance – de mettre la gestion des détenu.e.s du fédéral entre les mains des compagnies privées – est clairement en ligne avec l’idéologie néolibérale du gouvernement conservateur au pouvoir qui, depuis quelques années, étudie les dispositions carcérales dans d’autres pays. En octobre 2011, la firme de consultation Deloitte et Touche a été chargée d’étudier les prisons dans dix pays incluant l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis. Un rapport de 1400 pages, publié en mars 2012, évalue chaque prison et fournit des recommandations à l’égard des « pratiques des Services correctionnels du Canada » et leur « pertinence sur le marché canadien ». Tandis que le ministre de la Sécurité publique Vic Toews s’était empressé de nier que les modèles de prisons privées étaient pris en considération, il a souligné que le gouvernement était ouvert à une implication du secteur privé, affirmant que des services privés étaient déjà offerts en prison.
De même, dans un rapport publié en 2010, l’AFSC recommande de recourir à des compagnies de sécurité privées pour superviser la gestion des Centres de détentions des immigrant.e.s. Le ministre de l’Immigration Jason Kenney a lui aussi manifesté son intérêt à poursuivre de tels arrangements pour la gestion des détenu.e.s immigrant.e.s. En octobre 2010, il visita deux centres de détention australiens gérés par Serco (l’un des plus grands joueurs dans l’industrie de la détention internationale) dans le cadre d’une tournée de soi-disant recherche de vérité pour examiner les initiatives de « traites humaines » australiennes. Peu après, les détenu.e.s du centre Villawood géré par Serco ont déclenché une émeute dans le but de dénoncer leur détention indéfinie; tandis qu’un mois auparavant une autre manifestation initiée par des demandeur.euse.s d’asile détenu.e.s dans des installations extra-côtière de Serco sur l’île Christmas a mené à ce que plusieurs immeubles soient entièrement brûlés. Suite à sa visite, Kenney tweeta qu’il en avait appris beaucoup.
Depuis la présentation du projet de loi C-31, un bon nombre de compagnies privées ont constaté le potentiel d’expansion des infrastructures du système de détention canadien et ont exercé de fortes pressions sur le gouvernement fédéral pour des contrats liés à la prestation de tels services. Ces compagnies incluent Serco et BD Hamilton et Associés, une firme de consultation immobilière basée à Toronto, qui a proposé un partenariat public-privé pour construire un nouveau centre de détention à Toronto. Même si la proposition de BD Hamilton a été rejetée, la compagnie continue de courtiser le gouvernement pour des contrats liés aux processus de « renvois sous escorte ».
En mars 2012, des dirigeant.e.s de Serco ont voyagé du Royaume-Uni pour rencontrer Rick Dykstra, le secrétaire parlementaire du ministère de l’Immigration. Tandis que Dykstra s’est empressé de nier que la réunion concernait spécifiquement la question des détentions immigrantes, il mentionna que Serco n’avait jamais eu « l’opportunité de s’entretenir avec des représentants de l’État des services qu’ils fournissent d’une perspective citoyenne et immigrante ». Il a ajouté que la réunion pourrait servir à « élargir nos horizons » sur les services qu’il.elle.s ont à offrir, de voir s’il existe une façon pour eux.elles d’assister le gouvernement Canadien.
Cependant, la situation concernant la détention privatisée dans d’autres pays devrait servir d’avertissement. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont tous deux connus une augmentation vertigineuse dans la proportion des services de détention gérés pour le profit. Les compagnies privés gèrent maintenant 7 des 11 centres de détention au Royaume-Uni, tandis que près de 50% sont entre les mains du privé aux États-Unis. Pendant ce temps, les centres de détention ont atteint des sommets record. Il n’est pas surprenant d’apprendre que plusieurs rapports affirment que les cas d’abus sont répandus et que la responsabilisation est minimale dans les installations à but lucratif.
Aux États-Unis, des activistes pour la justice migrante ont souligné des cas de mauvais traitements et de refus d’accès aux services de santé dans les centres gérés par CCA et le groupe GEO. Le groupe GEO est présentement le sujet d’un recours collectif suite à des allégations d’abus sexuels dans ses prisons pour mineur.e.s ainsi que pour leur refus de fournir des services de santé et d’éducation aux détenu.e.s. En Australie, un rapport d’inspection des établissements de Serco a noté des situations de surpopulation dangereuses, de personnel peu ou mal formé, de négligence ainsi que d’usage abusif d’isolement en cellule.
Il est évident que la coopération grandissante entre les décideur.e.s en immigration et les entreprises privées est sur la table et il est difficile de ne pas constater l’influence d’une telle coopération dans des politiques telles que le projet de loi C-31. De telles mesures généreront certainement un nombre significativement croissant de personnes détenues par l’AFSC, tout ça dans le but d’augmenter l’efficacité et « l’équité ». Pendant ce temps, les installations de détention actuelles sont incapables de suivre l’afflux de migrant.e.s dans le système. Au fur et à mesure que la demande s’accroît, nous pouvons nous attendre à voir une plus grande proportion de migrant.e.s placé.e.s dans des prisons provinciales, pendant qu’on nous affirmera que la privatisation est la seule solution.
À bien des égards les forces du capitalisme international et de l’impérialisme placent les migrant.e.s et les réfugié.e.s en prison, où la privatisation néolibérale et la violence raciste du système de sécurité canadien en immigration se croisent. Les différents mécanismes pour leur détention doivent être mis en contexte dans cette réalité. Cependant, la lutte contre la détention des migrant.e.s et des réfugié.e.s peut aussi servir de point de convergence pour divers mouvement en opposition à ces forces. Nous continuons à résister contre la criminalisation de la migration tout en travaillant vers un monde où la liberté de circulation des gens prime sur les profits corporatifs.