La double peine est une conséquence injuste de mesures appliquées aux personnes n’étant pas citoyennes. Elle consiste à déporter ces personnes après qu’elles aient déjà été punies par le biais du système judiciaire criminel. Parmi les personnes n’étant pas citoyennes, on compte les gens ayant la résidence permanente depuis leur enfance, donc des personnes qui n’ont peut-être aucun lien avec leur pays d’origine et qui ont déjà des vies bien établies et de la famille au Canada. Tout comme les citoyen.ne.s (tel que défini par l’État colonial canadien), ces personnes doivent passer à travers le système judiciaire criminel et compléter leur peine, mais elles doivent en plus faire face aux conséquences d’être expulsé de manière permanente du Canada, sans égard à ce que cela peut signifier pour leurs familles, leur sécurité, leur habileté à s’intégrer à leur pays d’origine ou à la difficulté émotionnelle que représente le fait de se faire expulser du pays. Pour être clair, les non-citoyen.ne.s qui commettent un crime sont sujets à la « double peine » grâce à la collaboration des lois criminelles et d’immigration qui se veulent punitives. Ces politiques entourant la « double peine » sont racistes parce qu’elles créent un système de justice à deux vitesses dans lequel, s’il.elle.s commettent un crime, les immigrant.e.s font face à des conséquences beaucoup plus désastreuses que celles vécues par des citoyen.ne.s canadien.ne.s.
Légalement, de quoi ça a l’air?
En vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), les non-citoyen.ne.s peuvent perdre leur résidence permanente et être déporté.e.s s’il.elle.s sont considéré.e.s comme de « grands criminels ». À l’article 36.1 de la LIPR, tant les résident.e.s permanent.e.s que les « étrangers » se voient interdire de territoire pour cause de grande criminalité s’il.elle.s sont déclarés coupables d’une infraction passible d’un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans, même s’il.elle.s reçoivent une sentence plus clémente ou s’il.elle.s ne sont pas condamné.e.s à l’emprisonnement du tout. Un crime est considéré comme « grand » si la peine imposée est de plus de six mois d’emprisonnement. L’article 36.2 prévoit qu’un.e étranger.e, c’est-à-dire une personne n’étant ni citoyenne ni résidente permanent, se voit interdire de territoire si elle reconnue coupable d’un acte criminel ou de deux infractions sommaires à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits.1 Finalement, la section 36.3 spécifie qu’une infraction « hybride »2 est considérée comme relevant d’une mise en accusation même si elle est jugée par voie sommaire.
Telle que définie par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la « grande criminalité » ne fait pas de distinction entre la peine maximale et la peine réellement purgée, ignorant ainsi l’interprétation par le juge de la sévérité de l’infraction. La loi couvre aussi un large spectre d’infractions passibles d’une incarcération maximale de dix ans ou plus (par exemple agression, vol de carte de crédit, production de faux documents, etc). De plus, en matière d’immigration, même des infractions mineures peuvent être considérées comme de la « grande criminalité » car la nuance propre aux infractions « hybrides » est effacée. C’est ainsi que des personnes se faisant interdire de territoire pour cause de « grande criminalité » ne peuvent faire appel à la Section d’appel de l’immigration si elles reçoivent des condamnations de plus de deux ans. Elles ne peuvent non plus voir leur ordre de déportation invalidée pour des considérations d’ordre humanitaire. En gros, un ordre de déportation est fait sans considérer la nuance de la peine, la possibilité de réhabilitation, depuis combien de temps la personne vit au Canada et les difficultés qu’engendrera sa déportation.
Un élément étant encore plus de mauvais augure est la tentative par le gouvernement conservateur fédéral de faire adopter une nouvelle législation intitulée Projet de loi C-43, Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers. Si ce projet de loi est adopté tel quel la possibilité d’obtenir une révision de son dossier par la Section d’appel de l’immigration sera restreinte aux personnes ayant reçu une sentence de moins de six mois. Dans les faits, les résident.e.s permanent.e.s peuvent perdre leur statut pour des infractions mineures comme le vol à l’étalage, avoir causé une nuisance publique ou la conduite dangereuse. D’autres aspects de la loi oblitèrent la distinction entre des peines avec sursis impliquant une détention à domicile pour des infractions moins graves (des peines qui ont tendance à être plus longues) et des peines d’incarcération, de même que des conséquences exagérément graves pour les personnes qui ont fait des « fausses déclarations » (ce qui peut inclure se tromper dans des dates ou omettre un historique d’emploi). Ce projet de loi est une autre tentative pour expulser facilement des immigrant.e.s du Canada et pour intensifier un climat de xénophobie et d’exclusion raciale au Canada. Cela augmentera aussi la peur et la précarité au sein des communautés migrantes, celles-ci étant déjà ciblées par le profilage racial et les actuelles lois d’immigration racistes.
La double peine et le profilage racial
La double peine représente une agression ciblée envers les communautés migrantes, spécifiquement envers les communautés racisées qui sont surreprésentées tant dans le système de justice criminelle qu’au sein des cas de double peine. Étiquetés comme des « menaces sécuritaires » et des « dangers publics », la nature des groupes visés par la double peine révèle le caractère discriminatoire et raciste de ces mesures. Par exemple, une étude de la Section d’appel de l’immigration illustre les pays les plus représentés dans les cas d’appels : la Jamaïque, l’Iran, l’Inde, le Vietnam, la Guyane et Trinidad. Parmi les 151 personnes ayant fait appel, 35 (23%) venaient de pays anglo-saxons ou d’Europe occidentale. Les autres 116 personnes (77%) venaient de pays qui sont majoritairement composés de non-Blanc.he.s.
L’existence de cas de double peine au sein des communautés non-blanches est directement liée au profilage racial. Une récente étude des rapports de police de Montréal a prouvé que le profilage racial est répandu dans cette ville. Des quartiers comme Montréal-Nord, St-Michel, Parc-Extension et Côte-des-Neiges sont criminalisés et sont sur-patrouillés à cause de la densité des communautés migrantes et racisées dans ces secteurs. Cela est constaté grâce à la mise en place d’escouades policières spéciales ayant été créées pour lutter contre les gangs de rue comme AVANCE (2005-2008) et Éclipse (depuis Juin 2008). Les contrôles d’identité sont ainsi beaucoup plus fréquents (une hausse de 60% à Montréal, 125% à Montréal-Nord et 91% à St-Michel). Ces hausses sont attribuées à l’interpellation de personnes noires, représentant 40% des personnes interpellées. Alors que les activités de gangs de rue représentent 1,6% de tous les actes criminels rapportés en 2009, ces activités sont souvent utilisées comme plateforme pour légitimer le harcèlement ciblé et la criminalisation des communautés migrantes et racisées.
En résumé, les personnes racisées, spécifiquement les jeunes racisé.e.s et les Noir.e.s, sont ciblées et interpellées par la police. En conséquence, elles sont plus susceptibles d’entrer dans le système de justice criminelle en dépit du fait que les taux de criminalité sont plutôt stables entre les personnes de toutes les origines ethniques et raciales. De plus, comme la discrimination raciale imprègne l’ensemble du système de justice criminelle, les personnes racisées reçoivent souvent des peines plus sévères et se voient attribuer de manière disproportionnée des peines d’emprisonnement et des casiers judiciaires. Ceux-ci feront donc face à la déportation s’ils n’ont pas la citoyenneté.
Pourquoi nous résistons à la double peine
La double peine est un signe très clair de la manière dont le racisme est intégré tant dans le système de justice criminelle que dans le système d’immigration et il révèle comment les gens sont traités comme des êtres jetables, indésirables et inférieurs aux Canadien.ne.s blanc.he.s. Premièrement, la double peine cible des personnes racisées et les touche en partant du présupposé qu’elles sont intrinsèquement des criminel.le.s (spécialement lorsqu’on examine comment les « criminel.le.s » sont défini.e.s non pas tant par ce qu’il.elle.s ont fait mais par la manière dont il.elle.s sont exclu.e.s de la société, comment il.elle.s sont dépeints comme « mauvais.e » et comment il.elle.s doivent être expulsé.e.s). De plus, cela renforce le sentiment que les immigrant.e.s sont dignes d’appartenance seulement si ce sont de « bon.ne.s » immigrant.e.s, s’il.elle.s contribuent à l’économie, s’il.elle.s internalisent les valeurs canadiennes blanches, de classe moyenne et hétéro-patriarcales, s’il.elle.s ne remettent pas en question et s’il.elle.s ne résistent pas à la manière dont les communautés migrantes sont souvent exploitées et exclues de l’État canadien. Parce que les communautés migrantes sont criminalisées et vivent souvent la précarité, les personnes qui font face à la double peine se sentent souvent honteuses, isolées et aliénées à cause de l’infamie de recevoir des accusations criminelles. Cela crée aussi un sentiment de peur autour de la mobilisation communautaire et du travail d’appui. Parce qu’il y a beaucoup de personnes faisant face à la double peine qui vivent de manière isolée, nous devons commencer à parler de la double peine et rompre le silence entourant ces enjeux.
Personne n’est illégal-Montréal examine ces enjeux à travers une lunette voulant qu’il ne devrait pas y avoir de frontières ni de déportations puisque ces mesures sont mises en place par un État raciste et colonial dont les décisions concernant la citoyenneté sont basées sur le capitalisme, le colonialisme et la suprématie blanche. Nous croyons aussi fermement dans la libre migration des personnes, de même qu’en l’abolition du complexe industriel carcéral, et nous appuyons tou.te.s les prisonnier.e.s. Nous souhaitons néanmoins souligner comment le système de justice criminelle et le système d’immigration cible et punit spécifiquement les non-citoyen.ne.s racialisé.e.s à cause du silence entourant la double peine. Nous reconnaissons aussi la complexité de cet enjeu et le fait que nous n’appuyons pas certaines actions posées par les gens ou que nous considérons ces actions comme mauvaises. Nous ne croyons cependant pas que simplement parce que ce sont des non-citoyennes, ces personnes devraient être déportées et sujettes à un système de justice criminelle à deux vitesses.
La résistance à la double peine reflète un besoin immédiat au sein de nos communautés : briser l’isolement et construire la solidarité, démystifier la croyance à l’effet qu’il existerait des « bon.ne.s » et des « mauvais.e.s » immigrant.e.s, et rendre illégitime le racisme d’État qui construit tant nos prisons que nos frontières. Nous souhaitons briser l’isolement en prenant une position claire contre la double peine, en changeant le discours l’entourant, en construisant un réseau fort afin de mettre à nu ces injustices et à appuyer les individus qui luttent pour rester avec leur famille, leurs ami.e.s et leur communauté ici à Montréal.
Une liste de cas montréalais publics :
- -Victor Morales s’est vu annoncer une déportation vers le Chili après avoir vécu au Canada pendant trente ans.
- -Dany Villanueva est menacé de déportation vers le Honduras bien qu’il vive au Canada depuis l’âge de 12 ans; les procédures de renvoi contre Dany ont été lancées après que son jeune frère Fredy ait trouvé la mort lors d’une opération policière dans laquelle Dany est un témoin important.
- -Farshad Mohammadi, un réfugié politique iranien, a été tué par la police de Montréal en janvier dernier; au moment de sa mort Farshad faisait face à la possibilité d’être déporté en Iran à cause d’une condamnation criminelle liée au fait qu’il était itinérant.
- -Jacob Niyongabo a été déporté au Burundi en décembre, un pays qu’il a quitté il y a 16 ans.
- – Jean-Bernard Devilmé a vécu avec son épouse et ses enfants au Canada pendant 25 ans. Il était menacé de renvoi en Haïti en décembre à cause de la double peine.
Action
Personne n’est illégal a des objectifs modestes concernant l’organisation autour de la double peine à Montréal. Ces objectifs incluent : initier un travail d’éducation populaire, de sensibilisation, d’appui et lancer une campagne plus large à Montréal dans le futur. Notre intention est de créer éventuellement une coalition de personnes engagées à changer le discours autour de la double peine, briser le silence et la honte concernant ces enjeux de même que créer un réseau d’appui pour les personnes faisant face à la double peine. Si vous êtes intéressé.e.s à vous impliquer dans l’organisation autour de la double peine, prière de nous contacter à nooneisillegal@gmail.com
Ouvrages consultés
Community Legal Education Ontario: http://www.cleo.on.ca/en/publications/prcrime/losing-status-because-criminal-conviction
Rapport sur le racisme systémique et la discrimination dans les politiques canadiennes sur l’immigration et les réfugiés par : Conseil canadien pour les réfugiés:
http://ccrweb.ca/fr/rapport-sur-le-racisme-systemique-et-la-discrimination-dans-les-politiques-canadiennes-sur
Conservatives’ bill to deport ‘foreign’ criminals goes too far by: Sean Kilpatrick in the Toronto Star:
http://www.thestar.com/opinion/editorials/2012/11/17/conservatives_bill_to_deport_foreign_criminals_goes_too_far.html
Profilage racial et discrimination systémique des jeunes racisés par : Commission des Droits de la Personne et des Droits de la Jeunesse
Cliquer pour accéder à Profiling_final_EN.pdf
Institut canadien d’information juridique: Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés : http://www.canlii.org/fr/ca/legis/lois/lc-2001-c-27/derniere/lc-2001-c-27.html
Mental Illness, Criminalization, and Law by: Vani Jain, Schizophrenia Society of Ontario, Geri Sadoway, and Parkdale Legal Community Services: http://www.hsjcc.on.ca/Uploads/10-0324%20Mental%20Illness,%20Criminalization%20and%20Immigration%20Law%20power%20point.pdf